bureau de Lester Hartmann

Le bureau silencieux et endormi du docteur Lester Hartmann prit vie d'une manière soudaine quand son principal occupant déboula à l'intérieur, musique électro-punk à fond dans les oreillettes de son communicateur, manquant de s'étaler de tout son long quand ses pieds heurtèrent un carton lourdement rempli de papiers.

-Wow, c'était quoi ça ? c'était pas là la dernière fois que je suis venu !

Lester baissa le niveau de la musique pour mieux prendre conscience de son environnement proche, et observa son agresseur de plus près. c'est alors seulement qu'il réalisa que le responsable de la présence de cet objet intrus au beau milieu du passage n'était autre que lui même: il s'agissait simplement d'une copie de tous les rapports d'activité et notes de service publiques recensés ces dernières quarante-huit heures dans des domaines aussi riches et variés que l'exploration, les mouvements des militaires, l'industrie, l'agronomie ou encore la recherche scientifique en général, qu'il avait expressément réclamés...

*C'est le problème avec la recherche générale et les gens curieux comme bibi: encore et toujours plus de paperasse...*

En réalité Lester aurait très bien pu recevoir tous ces rapports par intranet. en plus d'économiser du papier et son tibia cela aurait sans doute amélioré le cloisonnage et la protection des informations qui lui étaient destinés... après tout son ordinateur était bien protégé, ce qui n'était pas vraiment le cas d'un cube de carton scotché posé à même le sol...

*M'enfin c'est pas comme si il y avait vraiment quelquechose à cacher là dedans, juste des témoignages de presque tous les services du camp...rien que je ne pourrais réunir en passant une semaine à faire du porte-à porte dans tout le complexe!
...De toutes façons je parie que c'est comme d'habitude: des dysfonctionnements mineurs un peu partout et pas un mot de remerciement pour ceux qui triment à trouver des solutions!*

En réalité, la raison profonde du gout archaïque du chercheur pour le papier tenait même à l'idée que la corvée que représenterait le tri de toutes ces pattes de mouche pour la plupart sans grand intérêt (mais où se cachaient parfois une information capitale ou un piste intéressante de réflexion) découragerait plus surement un hypothétique indiscret que tous les firewalls imaginables...

* De plus,en ce qui me concerne la lecture est un très bon exercice neuronal et cognitif. Parfait pour m'échauffer le cerveau*

... tacha de se convaincre le jeune scientifique.
Quoi qu'il en soit les seules informations vraiment sensibles dans cette piece étaient probablement rassemblées dans l'ordinateur portable qu'il ne quittait jamais. pour le reste, lester n'hésitait généralement pas à parler carrément de son travail autour de lui et à partager ses découvertes pour mieux profiter des réflexions de ses interlocuteurs.

*Bon alors, voyons à quoi ça ressemble*

Comme prévu, les notes de service faisaient surtout état de plaintes diverses et de demandes sans cesses renouvelées de solutions magiques.

Les exodés avaient un grand besoin de... tout.
Les infrastructures avaient souffert de l' "atterrissage" , les bestioles du cru terrorisaient la population, la demande en énergie allait croissant au fur et a mesure que le désir d'étendre le territoire connu rencontrait les difficultés de s'adapter à un environnement sauvage. Le personnel militaire semblait osciller entre ennui et urgence, les agronomes multipliaient les sorties...
on aurait dit la description d'une gigantesque fourmilière en activité.

Lester finit de lire le reste de ses dossiers, puis les rangea pêle-mèle dans le carton.

*Pour l'instant, rien de bien nouveau. je laisse ça là 24 heures et je l'envoie au recyclage.*

Ainsi, Lester recevait tous les deux jours un nouveau carton de paperasses, chaque fois tiré du recyclage du précédent, ce qui limitait les dépenses de matières premières... mais pas d'énergie.

*Cette habitude est adaptée à la vie en vaisseau spatial, où l'énergie tirée des étoiles et des usines embarquées est quasi illimitée mais les matières premières restreintes, mais il faudra trouver mieux maintenant qu'on est coupé des radiations stellaires par la présence d'une atmosphère...*

*...Remarque, dans le cas où on arrivait à reprendre contact avec La Rose Noire, ça pourrait être intéressant de conditionner un récupérateur de radiations pour qu'il nous transmettre de l'énergie depuis l'espace via laser ou micro-ondes. Pour ça il faudrait aussi prévoir des systèmes terrestres de réception et de transformation de l'énergie... ce pourraient être les usines de demain, non polluantes, nécessitant un entretient minimal, et à grand rendement pour peu qu'il y ait un réseau capable de transmette l'énergie 24h/24 depuis un point faisant directement face au soleil... eh, c'est une idée géniale, ça, il faudra absolument que j'en parle au prochain meeting!*

comme monté sur piles atomiques, Lester changea de playlist, connecta son lecteur de musique au système hi-fi 18.3 qu'il avait lui même créé et installé
et se lança à la réalisation des croquis et calculs nécessaires à la présentation de son nouveau projet.

Il ne fallut pas dix minutes à Irina pour trouver le bureau de Lester Hartmann, situé juste à l’entrée du laboratoire de recherche générale. Une petite plaque d’un métal sombre annonçait le bureau du chercheur et assurait la jeune femme de son arrivée à destination.
Le temps de se recomposer une expression de sérieux et de redresser quelque peu sa tenue, elle frappa un coup vif à la porte. Elle savait que théoriquement elle était autorisée à pénétrer dans le laboratoire sans attendre le consentement du jeune homme mais n’avait jamais pu se résoudre à utiliser les privilèges qui étaient les siens.
Elle attendit donc patiemment que celui-ci vienne lui ouvrir, espérant ne pas sentir trop fortement l’alcool après les excès de cet après-midi.

Lester n'entendit pas taper les coups à sa porte à cause de la musique, mais il vit les lumières rouges s'allumer au dessus: à force de rater des rencontres importantes à cause du volume sonore , il avait placé des senseurs de poids reliés à des diodes lumineuses sur le pas de la porte de son bureau.
tout en diminuant la musique il mit précipitament un peu d'ordre dans son bureau et se dirigea vers la porte, avant de se prendre les pieds dans le carton toujours en plein milieu du passage.

"Woh, woh, wooooh... !"

Il essaya tant bien que mal de se rattraper à la poignée de sa porte, et c'est ainsi qu'il tomba (littéralement) sur Irina - ou plutôt à ses pieds.

"... "
-pardon, désolé, c'est le carton qui.. euh... bonjour? bonsoir? il est quelle heure? ça va, pas de bobo? je suis sincèrement navré, c'est de ma faute, euh... comment allez vous -je veux dire, hum: Enchanté mademoiselle. Docteur Lester Hartmann, pour vous servir. A qui ai-je l'honneur d'être présenté?

Alors que son attention s’était portée sur sa droite, regardant distraitement par les hautes fenêtre scintiller les étoiles et pensant à sa nuit qui serait, une fois de plus, bien trop courte, Irina entendit un grand vacarme de l’autre côté de la porte. Un court instant plus tard, un jeune homme d’allure plutôt singulière tombait littéralement à ses pieds.

D’abord passablement surprise de cette entrée (ou plutôt de cette sortie) fracassante, la jeune femme mit un moment à réaliser que l’intéressé ne devait être autre que Lester Hartmann lui même, tout juste sorti de son antre.

Elle le regarda un instant avec stupeur avant d’éclater d’un rire franc devant son air catastrophé et ses vaines tentatives de maintenir un semblant de dignité par des présentations en bonne et due forme. Cela commençait bien, le chercheur lui plaisait beaucoup et elle lui trouvait déjà un capital sympathie plus important que celui qu’elle accordait d’ordinaire à la plupart de ses semblables lors d’une première rencontre. Se penchant derechef pour l’aider à se relever, elle lui prit le bras et se présenta à son tour, un immense sourire non dissimulé toujours accroché aux lèvres.

- Docteur Hartmann, enchantée de faire votre connaissance. Irina Viktorovna, pour vous servir moi aussi, si je le peux. Vous n’avez rien dites-moi ? J’aime beaucoup votre entrée en scène, vous avez le chic pour rompre la glace mon cher.

Et de partir à nouveau d’un rire cette fois plus discret, il convenait de ne pas le vexer.

*Et voilà, Lester, tu as encore réussi à te rendre ridicule*

Cela pensé, le scientifique se fit la remarque que, pour une fois, sa maladresse proverbiale n'avait pas rencontré la méfiance ou la moquerie de ses interlocuteurs habituels...

Tout d'abord, les rires qu'il avait provoqués n'étaient pas moqueurs mais sincères et sympathiquement surpris.

Ensuite, la créature svelte, bronzée et impeccablement coifée qui se tenait devant lui était tout simplement renversante. Ses cheveux blonds étaient tellement fins et gorgés de soleil qu'on les aurait dit complètement blancs. Sa carure finement musclée indiquait qu'elle était rompue aux exercices et son port droit donnait l'impression à Lester qu'elle n'avait pas l'habitude qu'on discute ses volontés.

* pour être aussi sure d'elle elle doit être chef de quelque chose, ou officier. Elle est trop bronzée pour être de l'administration, et trop belle pour être militaire... elle doit être exploratrice ou agronome...*

Soudain le scientifique se souvint: Irina Viktorovna! il avait déjà lu ce nom dans une des notes de service: la jeune femme riant à sa porte n'était autre que La "Responsable du ravitaillement et de l'aménagement du territoire arable" !

*et elle va faire partie de la prochaine expédition d'exploration elle aussi*

Lester lui renvoya son sourire chaleureux

- Oui désolé, ça me fait ça à chaque fois. Mes collègues m'appellent le clown, à force. Je suis flatté que la responsable du ravitaillement se déplace jusqu'à mon modeste bureau... excusez le désordre et entrez, je vous en prie. Désirez vous une tasse de thé? Je vais vous libérer une chaise, ne vous en faites pas. Que me vaut le bon plaisir ? vous êtes sure que je ne vous ai pas fait mal au moins? Bon, euh... Hum: entrez, je vous prie. Quel bon vent vous mène?

Ainsi qu’à son habitude, Irina ne réalisa en aucune façon l’effet qu’elle produisit sur le jeune homme. Tout juste se dit-elle qu’il ne semblait pas incommodé par sa mise fort peu convenable et les relents d’alcool qui, elle en était pourtant certaine, ne devaient pas manquer d’arriver jusqu’à lui malgré les trois pastilles de menthes avalées à la sortie du bureau de Naya. Fort bien, elle n’avait de toute façon aucune envie de s’en expliquer… Elle termina donc de l’aider à se relever et reçut avec beaucoup de plaisir le lumineux sourire qu’il lui adressa. Il était toujours agréable de se trouver face à un interlocuteur aussi visiblement ouvert et aimable que le jeune chercheur.

Intriguée par son amabilité non feinte à cette heure pourtant tardive, elle le détailla rapidement. Grand, svelte et de style un peu négligé, il se dégageait de lui l’impression de naturel de ceux qui ne cherchent pas à impressionner vainement leurs interlocuteurs. Le teint blafard et de grands cernes bleus sous les yeux, il se tenait légèrement vouté bien qu’il fit à l’instant un effort visible pour garder un port droit. Malgré le sourire chaleureux accroché à ses lèvres, la jeune femme pouvait aisément deviner aux quelques rides finement dessinées sur son front les fréquents tracas qui devaient secouer l’esprit du garçon.

Tout cela fut constaté en un instant et c’est donc avec toute son attention qu’elle écouta le discours précipité de son vis-à-vis. Elle cacha tant bien que mal un sourire amusé derrière un simulacre de toux à l’écoute de son embarras et de la longue liste de ses questions et propositions. Ce garçon était décidemment fort sympathique.

En un instant également, sa décision fut prise. Malgré sa résolution première de transmettre son invitation et de prendre congé après les brèves présentations d’usage, le thé lui parut tout à coup une excellente idée c’est avec une joie non dissimulée qu’elle se laissa guider dans le petit bureau. Elle qui n’avait jamais été douée pour les relations humaines se dit cette fois qu’après tout, il ne pouvait être que bénéfique de rencontrer un futur compagnon de route. Et puis une demie heure de sommeil de plus ou de moins ne ferait sans doute pas une grande différence au réveil… Pénétrant à la suite du jeune homme dans le petit bureau, elle reprit un semblant de sérieux pour lui répondre.

- Je vous en prie, ne vous excusez pas ce petit interlude m’a grandement amusée, je vous assure et je n’ai aucun mal.

Puis, voyant qu’il s’activait déjà à dégager un siège pour lui permettre de prendre place, elle se porta précipitamment à son côté. La pile impressionnante de dossiers et de papiers épars qu’il s’apprêtait à soulever semblait en effet bien trop lourde pour sa carrure d’asperge et l’équilibre précaire qui leur permettait de se dérober aux lois de la gravité ne résisterait sans doute pas à un déplacement tel que celui qu’il tentait en ce moment. Sans parler de la maladresse maladive dont il lui avait fait confidence, il valait mieux couper court tout de suite à tout risque d’ensevelissement sous paperasse administrative. Très peu pour elle.

- Oh non ne vous dérangez pas pour moi, je peux prendre place dans le coin là-bas, je n’ai pas besoin de beaucoup d’espace je vous assure. Toutefois je vous remercie de votre invitation et je prendrai volontiers une tasse de thé en votre compagnie, que nous fassions un peu connaissance.

Lester tâcha de déblayer en vitesse un espace digne de ce nom dans son bureau, puis siffla un air bien précis. De sous son bureau émergea alors un petit robot-plateforme-porteur-de-thé-et-gâteaux ressemblant à une soucoupe volante avec des roues et une demi douzaine de petits bras mécaniques. Le robot vint se poster aux pieds de son concepteur comme un toutou aux pieds de son maitre.

- Thé et gâteaux pour deux s'il te plait, Alfred.

"Alfred" se mit à l'œuvre, et la soucoupe volante se déploya pour se transformer en petit présentoir à gâteaux et puis sortit de son "ventre" deux petites tasses qu'il remplit d'eau chaude. Enfin, le robot ouvrit ses six derniers compartiments garnis de six différentes variétés de thé en sachet, et chacun de ses six petits bras en saisit un avant de se déployer vers l'extérieur.
Lester quant à lui renonça à libérer une chaise et sortit deux tabourets pliants.

-Il m'arrive de recevoir des confrères pour discuter calculs et interprétations,ce qui donne immanquablement lieux à d'interminables réunions: c'est pourquoi j'ai conçu Alfred. Désolé pour les tabourets, c'est pas top-confort mais c'est toujours mieux que de rester debout... pour choisir votre thé, tapotez une des mains d'Alfred.

... expliqua le jeune homme avec un sourire timide. Et comme pour illustrer son mode d'emploi, il s'assit sur le premier tabouret et toucha une des mains du robot -celle qui tenait un sachet de thé blanc - en ajoutant:

"deux sucres s'il te plait Alfred"

Et la main désignée du robot s'empressa de mettre le sachet dans l'eau chaude, puis rajouta deux carrés de sucres avant de se munir d'un nouveau sachet de thé blanc.

-Alors, qu'est-ce qu'une responsable du ravitaillement comme vous viens faire dans un laboratoire excentrique comme le mien?

Irina manqua faire un bond de deux mètres en arrière en voyant soudain surgir auprès d’elle le petit automate porteur de thé et de gâteaux. Elle le regarda avec circonspection déployer ses gadgets et lui proposer six différentes sortes de thés et une tasse emplie d’eau chaude. Ce n’est que lorsque son hôte lui proposa un petit tabouret à trois pieds qu’elle consentit à le lâcher des yeux un instant. Elle prit donc place sur le siège et recentra son attention sur Lester. Si elle ne vouait pas un amour sans limite à la technologie, elle pouvait tout de même s’en accommoder suffisamment pour tenir une conversation courtoise avec un de ses semblables en présence d’une minuscule machine comme celle-là… Elle se redressa donc un moment sur son siège et, jetant un coup d’œil en biais à « Alfred », lui tapota rapidement le bras qui tenait un Earl Grey Classic, signifiant ainsi que son choix était fait. Elle le regarda déposer le petit sachet de soie dans sa tasse et la lui tendre. Elle tendit ses mains et saisit l’objet avant de se retourner vers le chercheur en remuant machinalement son sachet de thé, espérant ainsi le faire infuser plus rapidement.

- Je vous en prie, ne vous souciez pas de mon confort, je vous assure qu’en campagne je me contente bien souvent de bien moins qu’un tabouret.

Portant la tasse à ses lèvres, elle but prudemment une gorgée du liquide brulant avant de continuer.

- Quant à la raison de ma visite, je vous avouerai que vous la devez davantage à cette Chère Naya Galandrix qu’à une simple curiosité de ma part. Votre bureau étant peu ou prou sur mon chemin du retour, elle m’envoie vous chercher pour discuter avec vous au sujet des éventuelles propriétés de cette fameuse pierre que l’équipe nord a ramenée il y a peu. Enfin c'est mon idée, officiellement elle ne m'a rien dit de tel...

Regardant autour d’elle les monceaux de papier qui jonchaient sol et meubles, elle eut un sourire discret.

- Je suis certaine que ceci ne vous causera pas de dérangement. Vous devez sans doute avoir hâte vous aussi d’en savoir plus sur ce fameux cailloux ? Quoi qu’il en soit, et même si ma visite n’est pas de simple courtoisie, je suis malgré tout très heureuse de faire votre rencontre avant demain. Il est toujours intéressant de connaitre ses équipiers lorsqu’il s’agit de partir en expédition sur le terrain. A fortiori lorsque ledit terrain nous est aussi peu connu que celui d’Esperanza.

*Oups...*
Visiblement, Irina n'était pas du tout enchantée à la vue du dernier gadjet domotique du pétulant chercheur. La chef agronome avait même réprimé un sursaut à sa vue... Celà chagrina Lester, qui ne voyait pas ce qu'on pouvait trouver de mal à sa petite créature de plastique et de métal. Irina était-elle répugnée par la technologie? Vraissembleblement le chercheur avait une fois de plus mit les pieds dans le plat.

Tout à ces pensées, Lester mit quelques secondes à capter le reste de la conversation.

"Oh, oui, bien sur, euh... tout le plaisir est pour moi bien entendu. D'ailleurs je me réjouis à l'avance de cette expédition: l'exploration est une fin en soi et de plus nous auront ainsi l'occasion d'échanger nos points de vue autour de ce sujet capital qu'est notre nouvel et futur environnement. Je dirais même qu'en ce qui me concerne, votre point de vue rattaché aux réalités du terrain est nécessaire, capital. J'aurais d'ailleurs bien des questions à vous poser..."

à ces mots, Lester se rendit compte qu'en effet, il débordait de questions. Sur la biodiversité locale, leur adaptation à ce nouveau milieu, mais aussi sur des sujets plus sensibles comme la disparition de leurs semblables et le fait que, peut-être, des rescapés du Nur Vankis étaient en ce moment même perdus et abandonnés à leur sort au beau milieu de la jungle... sur tous ces sujets et bien d'autres encore, Lester avait beaucoup de questions, et l'avis d'une femme qui avait les pieds sur terre l'aurait captivé...

*... Mais cette conversation serait interminable et ça n'est peut-être pas encore le moment*

"...Mais cette conversation attendra bien quelques jours. Ors, donc, je vous écoute: dites moi tout ce qu'il y a a savoir sur ce fameux caillou."

Irina remarqua une certaine hésitation de la part de son interlocuteur en début de conversation et se demanda ce qui avait bien pu ainsi le perturber. Elle ne pensait pas avoir commis de bévue mais il est vrai que les relations humaines étaient pour elle un tel mystère… Ses manières semblaient quelques fois un peu frustres et, si elle y travaillait sérieusement, il arrivait toutefois fréquemment à la jeune femme de blesser par mégarde un inconnu ou un proche. La scientifique était une jeune femme plein et entière et si ces amis avaient pu, au fil du temps, comprendre son fonctionnement et accepter ses failles, il était toujours difficile pour elle de créer des liens -si ténus soient-ils- avec une nouvelle connaissance. Elle repassa rapidement dans son esprit le début de leur conversation mais ne parvint pas à trouver d’erreur de sa part. Voyant que Lester se reprenait et passait même de l’incertitude à un enthousiasme certain, elle oublia rapidement l’incident et entreprit de lui répondre, pesant soigneusement ses mots.

- J’en sais malheureusement bien peu moi-même, je dois bien l’avouer. En outre, cela eût-il été différent que je ne me serais permis pour autant de gâcher le plaisir qu’aura certainement mademoiselle Galandrix à discuter de ce passionnant sujet avec vous . Vous admettrez qu’étant sensée vous inviter à son bureau, cela serait de ma part fort peu courtois.

Souriant largement, elle inspecta prudemment le visage de son vis-à-vis mais n’y détecta pas de signe précis et en déduisit que cette fois elle s’était exprimée sans défaut. Elle reprit donc une gorgée de thé et croisa les jambes, appuyant ses deux coudes sur ses genoux pour se pencher vers le chercheur. Enfin, elle reprit le fil de la conversation.

- Toutefois, je me réjouis d’entendre ces questions que vous avez à me poser et de confronter nos points de vue concernant cet étrange milieu dans lequel nous voici obligés d’évoluer aujourd’hui. Je dois bien avouer que de découvrir les mystères de cette planète est de loin le plus grand défi qu’il m’ait été donné de relever. Pensez un peu, monsieur Hartmann, au peu de gens qui dans l’histoire ont eu ou auront notre chance… Découvrir un nouveau monde, façonner une civilisation et en choisir les bases… Une tâche ardue, certes, mais que de passionnantes expériences nous attendent ; que de merveilleuses aventures nous nous apprêtons à vivre.

Le discour d'Irina sur Esperanza faisaient tellement écho aux propres pensées de Lester qu'il ne réalisa même pas qu'il se lançait dans un de ses interminables monologues

"Oh, oui, comme vous dites: c'est une merveilleuse aventure. Mais c'est surtout à mon avis une responsabilité sans précédent. Pensez donc, notre naissance, notre vie entière sont issues du rêve qu'ont eu nos aïeux de trouver un nouveau monde. Nos grand-parents sont nés sur une autre terre, maintenant vouée à l'oubli. Nous, nous sommes né dans l'espace, et nos enfants naîtront ici... C'est à nous qu'incombe cette effroyable responsabilité de fonder de nouvelles bases, plus saines, pour que nos descendants espéranziens ne fassent pas les mêmes erreurs que nos grands-parents... nous n'aurons pas toujours la chance de trouver d'autres mondes où se réfugier après avoir gâché toutes les ressources du précédent! Sans parler des risques du au voyage... pensez donc aux drames par lesquels nous avons du passer, tout ça pour arriver dans une telle catastrophe...Non, nous ne pourrons pas continuer comme ça: il faut que ce monde soit le bon.

*...C'est pour ça que j'ai du mal avec tous ceux qui se croient en safari*

"Il ne s'agit pas d'une terre à conquérir par la force, mais de la terre que nous allons emprunter à nos enfants. Il faudra la leur rendre en parfait état, et en attendant c'est à nous d'y trouver notre place...

...mais vous parliez de questions! En voici donc une pour commencer, d'ordre scientifique et agronome à la fois: que pensez vous des possibilités d'hybridations entre les plantes indigènes et nos plantes nouricières? Et puis une autre: pensez vous que nous pourrions cultiver certaines plantes du coin dans le but de nous en nourrir? J'immagine que nos plantes Terriennes font face à quelques soucis d'adaptation, ce serait tout à fait normal, alors pourquoi ne pas adapter vos compétences d'agronomie à des variétés indigènes parfaitement adaptées à la vie sur cette planète?

*oups, ça fait plus d'une question tout ça!*

Lester eut un grand sourire, mais presque malgré lui.

"Je suis confus, une fois lancé je deviens inarettable !"

Irina observa la lumière qui s’allumait dans les yeux du chercheur alors qu’il se lançait dans son monologue. Visiblement, elle avait touché une corde sensible et elle réalisait avec amusement qu’ils n’étaient pas loin de partager un avis similaire au sujet de ce nouveau monde et des responsabilités qui étaient les leurs à présent. Elle se permit de sourire à nouveau avant de reprendre immédiatement son sérieux à l’énoncé de la première question... Et des suivantes. Il était temps de parler un peu de ce qui l’amenait ici, ils n’avaient que top bavardé. Avec un sourire rassurant, la scientifique entreprit de répondre aux nombreuses interrogations du jeune homme.

- Oui, je vois ça en effet. Nulle inquiétude, cependant, vos remarques sont pertinentes. Concernant la culture de plantes locales et l’adaptation de nos connaissances agronomiques à ce nouveau milieu, mes équipiers et moi-même avons déjà pu déterminer avec certitude le caractère comestible de certaines espèces et les étudier de manière relativement poussée. Malheureusement, je dois avouer que d’après nos observations il ne s’agit pas là des essences les plus courantes ou les plus facilement cultivables dans un système d’exploitation systématique. Toutes celles que nous avons découvertes jusqu’à maintenant sont si parfaitement adaptées à leur biotope qu’il me parait à l’heure actuelle presqu’impossible d’espérer en faire culture au sens où nous l’entendons.

Jetant un œil au petit robot porteur qui trainait non loin, la jeune femme demanda d’un regard à son hôte la permission de se faire servir une nouvelle tasse de thé. Voyant qu’il acquiesçait d’un geste, elle tapota doucement l’un des bras mécaniques de sa petite créature et attendit quelques instants qu’il la servît. Elle mit à infuser le petit sachet que lui tendait l’automate et reprit le fil de ses explications.

- L’éventualité de croisements et autres hybridations me parait à moi la meilleure qui soit à l’heure actuelle. Je dois admettre que c’est la solution rêvée pour l’instant ; celle que je privilégie en tout cas. Si malheureusement nous ne parvenions pas à contrer les effets de ce minéral retrouvé par l’équipe nord et qui semble bloquer la croissance des végétaux terriens, cette parade pourrait même bien être la seule qui soit. D’un autre côté, même dans le cas contraire je pense qu’il resterait intéressant d’explorer cette piste plus avant. Nous mettons les pieds sur un tout nouveau monde et il va falloir revoir notre manière d’appréhender ce qui nous entoure. Si les végétaux indigènes sont parfaitement adaptés à leur milieu, nous allons devoir en faire autant et prendre tout ce qu’ils ont à nous offrir. Il ne pourrait-être que bénéfique me semble-t-il de mettre à profit leurs caractéristiques propres et d’en faire profiter tout végétal que nous souhaitons implanter ici.

Soufflant doucement sur son thé brûlant, la jeune agronome tenta de trouver une position plus confortable sur son tabouret et prit une gorgée prudente avant de lancer un regard amène à son interlocuteur.

- Vraiment votre thé est délicieux, un vrai bonheur qu'il ait pu être sauvé après le crash.

Lester avait écouté son hote avec attention, notant ses réactions avec soin. il avait remarqué les sourires d'Irina, et le sérieux de son écoute. Il était ravi d'avoir rencontré une interlocutrice à la fois si interressée et si interressante. Pour autant, ces réjouissances n'empêchèrent pas le jeune homme de remarquer une sorte de discrète détresse filtrer dans les discours de l'agronome.

*Elle a de grandes responsabilités au sein d'un projet titanesque, surtout quand on considère qu'elle avance en plein inconnu, et que tout le monde compte sur les agronomes pour manger à sa faim. *

Le jeune scientifique réalisa le poids qui devait peser sur les épaules de la jeune femme.

*...et dire que je me plaignais de l'ingratitude des néo-espéranziens! ...c'est que je suis pas si mal, planqué dans mon labo, avec mon ordi et mes robots domestiques.*

"Oui, et je vous considère comme responsables de ce prodige, vous et tous les agronomes. J'ai d'ailleurs régulièrement une pensée émue à votre égard quand je m'en sers une tasse...

Enfin, bon. Je me réjouis de constater que nos avis soient si convergents à propos de ce nouveau monde et de la place que nous devons y prendre. En ce qui concerne l'hybridation et tout autre projet d'agronomie nécessitant des recherches,vous pouvez bien entendu compter sur mon aide, et celle de toute la communauté scientifique, nous nous y engageons. "

"...et puis, concernant la croissance des végétaux terriens... arrêtez moi si je dis une énormité, mais... ne pourrions nous pas simplement recréer des conditions terriennes d'agriculture de façon artificielle, au moins pour les plants les plus indispensables? Je veux dire, si la présence de ce minerai rends les sols infertiles du point de vue de l'agronomie terrienne, serait-ce envisageable de, hum... filtrer, tamiser les sols pour extraire les variables indésirables de l'équation? Je pense à des jardins suspendus,veritablement isolés du reste de l'environnement pour des terrains d'agriculture contrôlée dans des conditions de laboratoire... pensez vous que ce soit envisageable à suffisament grande échelle? ...Bien sur, ce serait un sacré chantier!"

Lester pouffa. Décidément, une fois lachée, rien n'entravait plus son imagination. Un "sacré chantier", ben voyons... en fait, il faudrait déployer des moyens gigantesques. Terrasser le terrain sur des hectares, construire des structures sur-élevées d'une étendue sans précédent, tamiser des tonnes et des tonnes de terre, sans parler de l'irigation, de la maintenance et du contrôle des retombées écologiques...

*Mais après tout, tout ce que nous devrons faire ici ne devra-t-il pas être réalisé à une telle échelle pour perdurer? il s'agit d'implanter toute une espèce consciente sur un nouveau monde, pas de faire des travaux de maintenance pour un vaisseau!*

"Qu'en pensez vous?"

Un message arrive sur vos datapads :

@ Irina : Yop on va bientôt partir, viens nous dire au revoir ma petite. Wyrd.

@ Lester : Yop t'as vu comment j'essaie d'être cool avec les scientifiques ? *Ceci est un message retranscrit par Naya* Viens dans le hangar, moi le magnifique lieutenant colonel Wyrd aie besoin de toi.

Lester sursauta quand il entendit le bip de son communicateur résonner dans ses écouteurs.

Excusez moi, c'est peut être important...

Euh... c'est le docteur Naya Galandrix, je suis convoqué aux hangars. Je crains qu'il faille reporter la suite de cette entrevue, je n'aime pas faire patienter le chef de ce laboratoire...

Le chercheur eut un sourire de connivence. Naya Galandrix n'était pas réputée aimer attendre.

Par contre, le message ne dit pas quel hangar... ce n'est pas grave, je n'aurais qu'à demander mon chemin. Naya Galandrix et le lieutenant colonel Wyrd ensemble, ça ne doit pas passer inaperçu.
Hum...

Peut être pouvez vous me renseigner? j'ignore à quel hangar en particulier, il s'agit de rejoindre le docteur ainsi que le lieutenant colonel Wyrd... auriez vous une petite idée de ce qui peut les réunir aux hangars?

Irina manqua tomber de son tabouret tant son communicateur la sortit brusquement de ses pensées. Les questions et propositions de son chercheur d’interlocuteur l’avaient en effet plongée profondément dans ses réflexions et cela faisait, elle le réalisait maintenant, un très long moment qu’elle laissait celui-ci en attente d’une éventuelle réponse. C’est que ses propositions, bien que très compliquées à mettre en place, n’en étaient pas moins séduisantes. Bien sûr, il fallait y réfléchir très sérieusement et peser attentivement le pour et le contre. Il conviendrait d’en reparler. Afin de n’en pas perdre le bénéfice, elle se remémora toutefois rapidement les réflexions qui lui étaient venues à l’énoncé cette solution du « grand nettoyage ». Outre le fait que cela nécessiterait, comme l’avait lui-même fait remarquer Lester, d’entreprendre des travaux titanesques, restait que selon elle il était hors de question de commencer déjà à reproduire le mode de pensée terrien selon lequel on peut à sa guise modifier son environnement et cela sans se soucier des conséquences. La fameuse roche qui leur posait tant de soucis devait sans doute avoir une quelconque utilité et elle ne pouvait se résoudre à simplement l’extraire avant d’avoir en détail compris la quelle. Après tout, il était tout à fait téméraire de modifier un écosystème et a fortiori un géosystème dont ils ne connaissaient encore rien, pour ainsi dire… Non, cela n’était pas envisageable…

Soudain, la scientifique réalisa qu’elle était à nouveau partie dans de lointaines considérations sans avoir à peine jeté un coup d’œil à son vis-à-vis ou même au message qui venait de lui parvenir. Elle lança un regard contrit et un petit sourire d’excuse à son ami chercheur.

- Excusez-moi, vous disiez ? Oh, oui, le message…

Elle avisa la tasse de thé maintenant froid qu’elle tenait entre ses mains, la posa de côté et prit rapidement connaissance du message que lui adressait Wyrd. Bon, visiblement le contenu en était le même que pour Lester. Ainsi donc ils étaient prêts à partir... Elle sentit un pli soucieux barrer son front, comme chaque fois que ses amis devaient partir sans elle en mission. Elle avait une sainte horreur de rester en arrière à attendre. Au moins Wyrd avait-il eu la délicatesse de l'avertir de leur départ cette fois, il n'en avait pas toujours été ainsi par le passé... Elle reporta enfin son attention sur Lester et consentit à lui répondre, chassant pour un temps ses désagréables réflexions.

- Ils partent en mission… Il s'agit de retourner à l'épave du Nur Vankis récupérer équipement et archives... Une mission à haut risque que celle-là, mais nécessaire toutefois... Mais ils vous expliqueront tout cela de vive voix si je ne m'abuse. Nous ferions mieux d’aller voir, je pense…

Su ce, elle se releva vivement et attendit que son hôte prenne les devants. Souriant de son mieux, elle ajouta tout de même:

- Pour en revenir à notre premier sujet de discussion, je serais ravie de poursuivre plus avant cette conversation dès que nous en aurons l’occasion. Votre proposition mérite plus ample réflexion je dois bien l'admettre.

Lester se leva et reposa sa tasse là où il l'avait prise.
-ALfred, fais la vaisselle s'il te plait, et retourne à ta place.

"oui Irina, je suis d'accord, tout ceci mérite le temps de la réflexion et pour l'heure il y a plus urgent. Allez, on se dirige vers les hangars et on demande notre chemin sur place."

Le scientifique adressa un grand sourire à l'agronome, la débarassa de sa tasse de thé déja refroidi et prit l'initiative de la précéder à la porte de son bureau.

ah, j'allais oublier...!

à peine la porte franchie, Lester rebondit comme un ressort, et se dépécha de retourner prendre ses affaires (son ordinateur portable et un sac à dos qu il trimballait partout) avant de rejoindre Irina qui le regardait avec un petit sourire.

Oui, euh...Allez, c'est bon cette fois, on y va!

Sitot dit, "le clown" se dirigea -pour de bon- vers la sortie et les Hangars.

De retour à son bureau, Lester contempla le désordre avec un air résolu. Il brancha son système hi-fi, sélectionna une playslist très rythmée et monta le volume.

http://www.deezer.com/fr/music/home#music/the-prodigy

Le ménage nécessaire fut fait dans le temps record d' un quart d'heure: le scientifique d'habitude si prolifique et éparpillé ne laisserait rien le détourner du projet prioritaire que lui avait confié son chef de laboratoire; l'étude complète des propriétés de la roche magnétique n°93240N serait son unique occupation jusqu'au retour de Naya Galandrix.

Entre temps, divers assistants avaient apporté tous les instruments de mesure dont Lester pensait pouvoir avoir besoin et qui rentraient dans son bureau sans necessiter qu on abbatte une cloison. Le bureau du jeune homme redevint vite impraticable, mais c'était à ce prix qu'il pourrait travailler dans des conditions de confidentialité optimum - le docteur Galandrix s'était bien fait comprendre sur ce point - Et Lester n'y voyait pas vraiment d'inconvénients.

Un bureau c'est pas fait pour marcher, tant que j'ai assez de place pour me rendre d'un appareil à un autre c'est l'essentiel.

C'est ainsi qu'en vingt minutes chrono le bureau fut transformé deux fois et prêt à servir.

Lester s'équipa de lunettes et gants à réalité virtuelle augmentée pour pouvoir manipuler à distance tous ces instruments reliés à son ordinateur ainsi que les données anexes qui s'accumuleraient bientot tout au long de l'étude.

Pour l'instant, il y avait juste celles fournies par sa commanditaire: dans le mail qu'elle lui avait envoyé - et qu'il mit un certain temps à décrypter malgré les mots de passe fournis - était présentée la pierre en trois dimensions, ainsi que des mesures préliminaires, et surtout le numéro et le code d'accès de la consigne sécurisée où elle en avait placé l'échantillon.

Dans cette consigne, Lester trouva également un dossier: le rapport papier de l'équipe d'exploration Nord, dirigée par le lieutenant Orowyn. La lecture de ce dossier fut rapide, étant donné que les mesures avaient déja été vérifiées par le docteur Galandrix, mais Lester put appécier les observations en marge du lieutenant: visiblement, le soldat était un personnage à part, à la fois militaire et initié en sciences physiques...Il voyait dans les particularités du minerai "l'occasion future d'une nouvelle source d'énergie" et le scientifique décida d'explorer cette piste également, et de rencontrer le lieutenant à ce sujet dès qu'il aurait reçu le feu vert de sa supérieure.

Lester s'assit dans son fauteuil pour la première fois depuis une bonne heure qu'il était revenu des hangars. Il souffla un coup, puis siffla.

Alfred?

Le robot familier ne tarda pas à trouver son chemin dans le nouveau labyrinthe du scientifique et à le rejoindre.

Comme d'habitude, s'il te plait.

Alfred se mit à vrombir doucement puis servit à son maitre une tasse fumante de plusieurs sortes de décoctions mélangées selon une recette minutée à la perfection. Cet élixir aiderait le scientifique à lutter plus efficacement contre la fatigue et à maintenir sa concentration à un degré optimum.

Quel dommage qu'il reste si peu de gingembre, il faudra bientot que je trouve une nouvelle recette...

Lester coupa la musique et but en silence.

Puis il changea de playlist, relança le son...
http://www.deezer.com/fr/music/home#music/archive/controlling-crowds-285964
...et se mit au travail.

Une silhouette se profila à l'entrée des dédales de couloir. Elle regarda rapidement autour d'elle comme pour vérifier si quelqu'un se trouvait dans les parages puis, elle se plongea dans l'études des plans du batiment affichés sur le mur. Se redressant soudain, elle parti d'un pas vif et assuré, rejetant les épaules en arrière et gardant la tête haute.

Bakan était le chef de l'Equipe Nord. Grand, maigre, des cheveux d'un noir corbeau mi-longs et retenu par un catogan. Il se plaisait à se donner un look d'aventurier, avec un pantalon kaki et un T-shirt simple le tout surmonté d'une veste multi-poches, pensant que ça pourrait attirer les conquêtes.. ce qui n'était guère le cas. Scientifique ratée du point de vue de tous, sauf du sien, il n'avait pas encore réalisé la réputation qu'avait obtenu l'Equipe Nord depuis sa création.

Affichant un sourire satisfait après avoir observé les inscriptions sur toutes les portes du couloir, il frappa vivement sur celle de Lester Hartmann.

Comme d'habitude, le son de la musique dans le bureau de Lester était trop fort pour qu il entende quiconque frapper à la porte... et, concentré comme il était sur son travail, il mit un certain temps à réaliser que la lumière rouge signalant un visiteur était alumée.

Ah, voilà Irina!
Se réjouit le jeune homme. Il la connaissait depuis peu, mais déja il appréciait sa compagnie, à la fois franche et bienveillante; et travailler avec elle promettait d'être interressant.

Il baissa donc la musique de plusieurs dizaines de décibels avant de se faufiler précautionneusement dans la foret de machines qui avait récemment poussé dans son bureau - Lester n'aurait pas voulu réiterer sa sortie accrobatique avec l'agronome - ce qui eut pour effet de faire attendre son visiteur une bonne minute de plus avant qu'il ouvre sa porte avec un grand sourire.

Irina! Justement je vous...
...oups.

Bakan! Je suis confus, j'attendais quelqu'un d'autre.
Avoua le scientifique en affichant un air géné

Baskan... Qu'est-ce qu'un incapable comme vous vient faire devant mon bureau juste au moment où je travaille secrètement sur une de vos trouvailles?

Lester prit soin de refermer la porte derière lui tandis qu'il se glissait de l'autre côté -celui de Baskan.

Vous voudrez bien m'excuser, Baskan, mon laboratoire n'est pas visible en ce moment - trop de bordel.

Alors, que me vaut la visite du célèbre Baskan de la non moins célèbre équipe d'Exploration Esperanzienne Nord?

Bakan fronça légérement les sourcils en entendant son prénom si allégrement écorché mais décida de garder bonne figure malgré tout. Le peu de temps que la porte resta ouverte, le scientifique put apercevoir un amoncellement de matériel d'analyse, ce qui confirma ses suppositions.

Toujours aussi bonne mémoire à ce que je vois mon cher Lester... mais c'est Bakan mon prénom, merci.

Puis, voyant l'hypocrisie dont Lester commencais à faire preuve, il eut un léger sourire et se prit à penser "il veut jouer? Jouons donc..."

Inutile de vous cacher, je sais parfaitement ce que vous étudiez dans votre bureau. Après tout, à qui d'autre le Professeur Galandrix pouvait-elle demander d'étudier une aussi importante découverte ? Mais bon voyez-vous, je pense tout de même que vous pourriez avoir besoin de l'avis de quelqu'un... qui connait le terrain voyez-vous.

D'abord gêné d'avoir écorché le nom de son interlocuteur, Lester fut vite irrité à son tour devant la fatuité et l'hostilité de Bakan.

D'accord... fini de jouer maintenant.

Il retira les écouteurs de ses oreilles, se redressa, fit disparaitre son sourire de clown et changea de ton:

Très bien, Bakan.
Vous avez raison, le professeur Galandrix m'a chargé d'étudier votre trouvaille. On notera qu'elle ne vous a pas mit sur le coup, et on en tirera les conclusions qui s'imposent: soit elle vous a mis sur la touche pour des raisons personnelles, soit vous n'êtes pas qualifié pour cette tâche.

En ce qui me concerne, j'ai toujours aimé le travail d'équipe, c'est pourquoi je serais ravi de profiter de votre analyse et de votre sens du terrain... Comme vous semblez ne pas le savoir, les rapports écrits sont faits pour ça.

D'autres que vous- qui n'ont pourtant rien à vous envier sur le terrain- m'ont heureusement permis de palier à ce manque en rédigeant un compte rendu exemplaire.

Lester parlait bien sur du rapport du lieutenant Orowyn, qu'il avait désormais lu et relu une bonne vingtaine de fois.

Maintenant, Bakan, je vous doit des excuses: pardonnez moi d'avoir déformé votre nom. Pardonnez moi aussi (si vous le voulez bien) de jouer les innocents en vous fermant la porte de mon bureau, mais il se trouve que le professeur Galandrix a été assez claire sur le caractère confidentiel que doit prendre ma démarche.

Plutot que de prendre ombrage de ma conduite, considérez que j'aurai voulu vous épargner l'embarras de vous voir fermer franchement la porte au nez, comme l'exige ma situation.

J'ai pas besoin d'un vaniteux chouineur dans mes pattes, désolé.

Lester avait dit tout cela sur un ton à la fois calme et sans réplique, sans laisser Bakan l'interrompre.

Il n'avait pas menti quand il avait dit préférer le travail en équipe mais puisque Naya Galandrix lui faisait confiance pour gérer cette étude en solo pendant son absence, il fallait qu'il se positionne très clairement dans le role de celui qui défendrait bien son bifsteak.

Lester se détendit un peu et regarda Bakan droit dans les yeux.

Bon, tout cela dit Bakan, si vous vous êtes déplacé jusqu'ici c'est surement pour une bonne raison. Je vous écoute...

Bakan écouta la tirade du Professeur Hartmann sans prononcer un mot mais son visage s'était progressivement décomposé. Passant par la paleur de l'humiliation et le rouge de la colère, il s'efforça de reprendre une teinte à peu près normale avant de reprendre la parole.

Votre travail est tellement secret mon cher Hartmann que tout les labos sont déjà au courant. Et puis n'oubliez pas que c'est grâce à Mon Equipe que vous avez un travail présentement.

Il afficha un léger sourire qui dissimulait mal son orgueil et la satisfaction qu'il obtenait en parlant ainsi à l'un des scientifiques les plus réputés de la base.

Par ailleurs, je ne vous permets pas de juger de mes capacités que vous ne connaissez nullement. Le Professeur Galandrix m'a certes écarté de ce projet mais peut-être devriez-vous vous montrez un peu plus... réfléchi. Mes connaissances peuvent vous être précieuse. Et votre fierté pourrait nous nuire à tous.

Il afficha un air contrit.

Je ne suis ici que par soucis envers nos camarades d'infortune.

Lester était de plus en plus irrité en constant à quel point Bakan transformait ses propos.
Il porta pourtant un grand intérêt aux informations que lui transmettaient le trublion.
1°) tous les labos sont au courant de mon sujet de recherche... après tout, rien d inquiétant, ce sont surtout les résultats qui devront rester secrets le plus longtemps possible...mais qu il y ait des fuites si vite... ça ne fait meme pas douze heures que je bosse sur ce projet! je commence à comprendre la parano du docteur Galandrix. des mesures seront à prendre, je n ai pas l'habitude de faire dans le secret mais il va falloir apprendre, et vite.
2°) Nos camarades d'infortune...? Qu'est-ce que c'est que cette histoire?

Calmez vous Bakan, si vous vous arrêtez deux secondes vous constaterez qu il n y a eu aucun jugement de valeur dans mon discours: que des faits.

C'était vrai: Lester n avait aucune sympathie pour Bakan mais il considérait en bon scientifique que les faits seuls comptent pour ce qui était de juger une situation ou une personne.

à présent, crachez le morceau: qu'attendez vous donc?

Ce que j'attends ?

Le scientifique marqua un temps, à la fois pour savourer cet instant, mais également pour montrer à so interlocuteur qu'il avait le dessus sur leur conversation.

J'attends à être inclu dans votre travail, Hartmann. Je veux l'accès à toutes vos ressources et vos résultats. Et j'estime que c'est la moindre des choses après avoir découvert l'objet de vos analyses vous ne pensez pas ?

Puis, son regard se durcit et il ajouta.

Sinon croyez-moi que dans peu de temps vous allez être envahi par une bande de curieux qui seront peut-être moins poli que moi.

» Lester Hartmann
» Devant le bureau d'Akira... quelqu'un a dit bureau ?!
» Bureau de Naya Galandrix
» Commandement Central : Bureau du Lieutenant-Colonel Wyrd