Quartiers du lieutenant Méliès

"Les baraquements de l'Ombre"
Le surnom donné aux quartiers de l'officier des forces spéciales sonnait comme un titre de roman pour adolescents, aux relents terribles et merveilleux... Pourtant il n'y avait pas de mots plus justes pour décrire ce lieu plongé en permanence dans l'obscurité, dénué de toute décoration et tenu avec une rigueur frisant la névrose obsessionnelle.
Pas un gramme de poussière. Pas un objet qui traine, pas la moindre personalisation ni la plus petite trace d'acivité humaine, juste des rangements dissimulés dans l'architecture de la pièce, des meubles rendus indiscernables des murs, une température constante à 18.5°C et un silence parfait.

Si quelqu'un avait poussé la porte 852 du bloc 4, et même après avoir alumé la lumière, il n'aurait pas trouvé de meilleure expression en pénétrant dans cet univers minimaliste et froid à vous en dresser les cheveux sur la tête.

Mais bien sur personne n'avait poussé cette porte, en dehors de la propriétaire des lieux. En dehors de l'Ombre. Jamais.

Dès son attribution, Andrea Méliès, dernière héritière d'une dynastie de soldats devenus nobles tant ils étaient impitoyables, avait fait de ses quartiers son refuge: une place forte et secrète à la sécurité renforcée, où nul ne pourrait entrer sans risquer sa vie et laisser des bouts de soi un peu partout, à moins d'y être invité... Ce qui n'arrivait jamais.

Lunettes R.V sur le nez, Andréa fit pivoter sa hanche pour basculer son centre de gravité. une ondulation progressa de son dos au long de ses bras jusqu'à ses poignets, avec une telle fluidité que le mouvement parut lent et insignifiant. Mais quand ses mains s'ouvrirent, six pointes de métal semblèrent se mouvoir de leur propre chef pour aller se ficher dans leurs cibles respectives jusqu'à la garde.

Fluidité.
Equilibre.
Précision.
Meutre.

Le Taiji-Quan Kunst ou "Taijunst" était tout cela à la fois.
Cet art martial que la Maison Méliès avait développé en combinant d'anciens arts terriens aux nouvelles techniques de combat en gravité zéro demandait une souplesse et une coordination optimales conjuguées à une discipline de fer... Pour Andréa, l'entrainement quotidien que cela exigeait était un des meilleurs moments de sa journée. Ces mouvements amples et ralentis favorisaient sa concentration.

Alors qu'elle continuait de rédiger son rapport en cliquant sur son clavier virtuel au moyen du suivi rétinien, elle poursuivit son mouvement de basculement lent sur le côté. sa main se posa à terre. Ses pieds quittèrent le sol. Deux autres couteaux de lancer sifflèrent vers leur destination, pour s'enfoncer dans leurs cibles simultanément.

Bakan était un homme médiocre,un explorateur tout sauf scientifique et un soldat lamentable: rien que pour ça, il méritait la cour martiale... Mais cette fois ci il avait dépassé les bornes. Si Andréa était intervenue une seconde plus tard, on raconterait partout dans la base comment un scientifique se serait retrouvé à devoir se défendre lui même contre un soldat. Impensable.

Dès qu'il avait vu le lieutenant Méliès prendre en charge la suite de l interrogatoire, Bakan s'était montré très locace: il avait parlé comme si sa vie en dépendait -ce qui était peut être le cas- mais quelquechose ne collait pas dans son histoire.

Toujours avec une lenteur considérable, Andréa pivota autour de sa main, faisant demi-tour pour finir sa roue là où elle l'avait commencé. d'autres couteaux fusèrent.

Bakan comptait obliger le scientifique dont il était question à partager les résultats de ses recherches avec lui. Le chercheur travaillait sur un minerai que l'équipe d'exploration nord -l'équipe de Bakan- avait découvert. Une première étude avait laissé supposer une decouverte de taille concernant des propriétés particulières de la pierre. Quelquechose qui concernait une nouvelle source d'énergie et l'agriculture... Andréa ne comprenait pas comment ces deux concepts pouvaient se retrouver réunis autour d'un caillou mais elle n'était pas assez idiote pour en ignorer l'importance étant donné le contexte actuel.
Celui à qui on avait confié les recherches était un certain Lester Hartmann. Un scientifique compétent et prométeur d'après son enquète. Le chouchou de Naya Galandrix (la très jeune double chef de laboratoire) d'après Bakan.
Ce qui ne collait pas c'est que Bakan était trop nul pour prétendre suivre les recherches poussées qu'allait faire le chercheur... Sans parler de pouvoir s'en donner les mérites. Andréa se demandait si il n'avait pas plus tôt été envoyé pour surveiller les progrès du scientifique, pour le compte de quelqu'un d'autre.

Mais jusque là Bakan s'en était tenu à son histoire.

en se relevant, toujours dans le même mouvement fluide et continu, l'Ombre saisit son épée energétique. La lame sifla dans l'air tandis que ses mouvements devenaient de plus en plus rapides, de moins en moins amples, jusqu'à ce qu'elle se retrouve entièrement ramassée sur elle-même. Alors elle se déploya entièrement, pourfendant l'obscurité d'un dernier coup d'estoc qui aurait percé le blindage d'une mecha.

Son rapport était fini. Andrea rangaina son épée et entreprit de ranger couteaux et cibles avant d'aller prendre une douche.

Une silhouette se dessina au bout du couloir qui menait aux quartiers du lieutenant Mélies. Celle-ci avançait avec une lenteur exagérée. Mais alors... vraiment exagérée.

Le soldat Devros n'était pas un mauvais soldat. Bien sûr, il ne s'était pas illustré en héros dans certaines grande bataille mais il faisait la fierté de ses parents et cela lui suffisait. Après le crash, il ne restait plus que lui et sa pauvre mère, déjà bien malade. C'était un homme bon ce soldat.

Voila pourquoi il se demandait ce qu'il avait bien pu faire de mal pour se voir confier cette mission. Après tout, ce qui était arrivé n'était même pas de sa faute.

Oh, bien sûr, le soldat avait déjà croisé le lieutenant Méliés. De loin. De très très loin. Et cela lui avait largement suffi. Pourquoi diable ses supérieurs avait-il voulu que ce soit LUI qui aille lui apporter la nouvelle ? Le soldat Lievan était tout aussi responsable que lui après tout. Mais non. Le casse pipe, c'était pour sa pomme.

Il s'arrêta devant la porte et essuya d'un geste rapide les gouttes de sueur qui commençaient à s'accumuler sur son visage.

Tu peux le faire mon vieux, allez, respire un grand coup. Ce sera vite fini, se murmura-t-il pour lui-même.

Puis, il frappa

Trois coups frappés à la porte. Doucement et sans grande conviction... Le troisième coup était d'ailleurs à peine perceptible.

Un militaire, surement non gradé. pensa Andréa. Cette hésitation était caractéristique des soldats qui s'adressait à elle.
Probablement un homme. Les femmes soldats avaient tendance à faire preuve de plus de conviction, car dans le monde encore misogyne de l'armée, elles avaient élevé l'esprit de compétition et le refus de se laisser impressionner au point d'en faire une seconde nature.
Une femme aurait refusé de se laisser impressionner par une simple réputation, fut elle celle de l'Ombre.

Andréa finit de se sécher et enfila un uniforme tout en jetant un œil à l'image que transmettait la micro-caméra dissimulée devant sa porte. C'était bien un soldat. D'ailleurs il semblait hésiter à prendre cette attente comme prétexte pour partir. Elle ne lui en laissa pas l'occasion. La porte s'ouvrit silencieusement sur les ténèbres et L'Ombre surgit des ombres.

Bonjour soldat.Au rapport.

Au moment où le soldat Devros comptait prendre la poudre d'escampette sans demander son reste, la porte s'ouvrit sans bruit et tout à coup, elle était face à lui.

Hem, Lieutenant Méliés, bonjour. Bafouilla-t-il en se mettant au garde à vous sans grande conviction

Je suis désolé de vous déranger mais on m'a demandé de vous dire que... hem, eh bien...

Sentant que son interlocutrice s'impatienta, il respira un bon coup et lacha

Bakansestenfui.

Puis, il baissa la tête, attendant que l'orage éclate.

Deux yeux sybillins se transformèrent en deux vortex de noirceur pure tandis que l'officier Méliès contenait à peine les violentes pulsions qui l'assaillaient. Elle aurait volontier trucidé l'homme qui se tenait ratatiné devant elle, mais elle avait mieux à faire.

ça attendra.

Andréa ne croyait pas en cette expression qui voulait que "on ne tue pas le messager". Seulement il était question d'en tirer un maximum avant de s'en débarasser.

Soldat, vous avez une seconde pour vous mettre au garde à vous de façon convenable, puis je vous en donnerai quinze de plus pour me dire tout ce que vous savez de cette affaire.

Après quoi vous irez rejoindre vos courageux camarades - qui non content de laisser filer un prisonnier sous leur garde se sont révélés infichus de faire eux même leur rapport en urgence- et vous me les mettrez aux arrêts pour manquement au devoir, suspicion de complicité d'évasion et pleutrerie. Vous insisterez sur ce dernier chef d'inculpation.

Et bien sur, je veux leurs noms avant de vous voir décamper...
...Exécution!

Le soldat tremblait de peur devant l'officier. Mais il se dit qu'il pouvait ne pas être inculpé lui-même s'il dénonçait ses camarades... Ou pas. Après tout, qui pouvait se targuer de pouvoir prévoir les actions d'Andrea Méliès ? Le soldat prit sa décision.

- Lieutenant, je refuse. Nous sommes un groupe, je ne dénoncerai pas mes camarades. C'est ce qu'on nous apprend ici, si on doit mourir, c'est tous ensemble. Si l'on doit vivre, on va chercher nos camarades qui sont au bord du gouffre. Je refuse donc de vous communiquer leurs noms.

Les yeux du soldat s'étaient légèrement agrandis mais il osait à présent regarder son supérieur dans les yeux. Il tentait peut-être quelque chose d'incertain mais au moins montrait-il encore qu'il avait de l'honneur.

Après quelques secondes de flottement, une sonnerie résonna. C'était le biper du lieutenant qui affichait ce message :

Intrusion - Incendie dans les dortoirs - Centre de soin - Intervention immédiate

Le couroux d'Andréa était sur le point d'exploser quand son biper sonna, mais il fut balayé par l'urgence. Une intrusion? Dans les dortoirs? Impensable!

Bakan attendra pour payer sa dette tout comme l'imbécile devant elle qui s'immaginait justifier un manquement grave à la discipline par une sorte de loyauté envers ses camarades...

L'ombre replongea dans les ténèbres le temps d'enfiler un gilet de protection et sa ceinture - couteau, pistolet automatique, gunshock et épée énergétique - puis de saisir un shotgun (disuasif et fiable en combat rapproché) dans sa réserve personnelle. Quand elle resortit, le regard qu'elle posa sur le soldat devant sa porte était froid comme la glace.

Soldat Bryan vous êtes réquisitionné en attendant votre mise aux arrêts. Vous venez avec moi dépéchez vous.

Elle n'attendit pas de réponse... Si le soldat osait ne pas venir elle saurait se rappeler du matricule imprimé sur son uniforme.(les uniformes militaires sont souvent marqués au nom et au matricule de leur propriétaire.)

Andréa meliès fonça vers le centre de soin.