Commandement Central : Bureau du Lieutenant-Colonel Wyrd

Directement après son passage au réfectoire, le cramé arriva dans son bureau via un petit transport militaire qui trainait dans les rues. La foule n'aimait pas tellement les militaires en ce moment et Wyrd comprenait pourquoi ... Tout à fait pourquoi. Mais que pouvait-il faire face à cela ? Le simple fait d'appartenir aux militaires pouvait être vue comme une menace, alors quand un gradé se promenait c'était encore bien pire. Enfin, toujours était-il qu'il arriva à son bureau, empreinte digitale, rétinienne et échantillon de salive pour reconnaissance ADN. Au moins c'était sécurisé dans le coin, après un léger bip il put rentrer dans le bureau.

Sommaire et limite spartiate, à l'exception des dossiers entassés un peu partout face à la porte trônait le bureau et derrière lui une commode extrêmement large au dessus de laquelle trônait le drapeau des Exodés et celui de son régiment d'origine le 12° Goliath.

Posant le dossier de ravitaillement dans le casier des "à gérer" et s'assit dans son large fauteuil en cuir synthétique, prenant le temps d'allumer son holo-ordinateur qui forma une sphère d'un bleu-turquoise très homogène. Il mit les gants permettant de voyager dans le web tactile et commença à travailler en mettant en relation les données sur l'ordinateur, les prenant dans la main et les jetant sur les écrans d'affichage qui se trouvaient encastrés dans les murs.

Calmement, il retravaillait l'ensemble des systèmes de défense et des roulements de patrouille. Personne ou presque ne s'occupait de la maintenance des MechA. Unit. ce qui énervait Wyrd au plus haut point ... Ça glandait un peu dans les régiments là. D'ailleurs vu les pertes du crash il faudrait procéder à une restructuration des effectifs ...

Et ainsi, Wyrd était partit pour plusieurs heures de travail, comme tous les jours.

Passer les systèmes de sécurité et les divers postes de garde avait pris à Irina non loin d’une bonne heure et c'est passablement excédée qu'elle frappa enfin à la porte du bureau de Wyrd. Elle n'eût cette fois que quelques secondes à patienter avant qu'on vint lui ouvrir mais c'est malgré tout avec une extrême froideur qu'elle toisa le militaire. Il s'effaça pour la laisser entrer et elle pénétra dans le bureau sans un mot.
Déposant le dossier sur une pile en équilibre précaire sur le petit bureau au centre de la pièce, elle se retourna à nouveau vers son ami, croisa les bras et se décida enfin à desserrer les dents.

- Bon. Il m'a fallu un temps de malade pour venir jusqu'ici alors je serai brève. Tout ce que tu as besoin de savoir est là. La configuration du terrain, son emplacement exact et la superficie dont je pense avoir besoin pour commencer à développer quelque chose de correct. Tu sauras te débrouiller?

- Wow ... Ne soit pas en stress ... T'étais beaucoup plus détendue toute à l'heure ma chère, que s'est-il passé pour que tu sois dans cet état ?

Répondit Wyrd avec un air surpris, tout en mettant son holo-ordinateur en pause et en enlevant les gants de contrôle. Il s'approcha du bureau et remarqua donc le dossier de papier qui trônait au dessus des piles de disques, cd-roms et plaquettes de diffusion tri-dimensionnelles. Irina, à l'instar d'Akira, préférait réellement le papier pour des raisons que le militaire n'avait jamais réussi à s'expliquer. C'était tellement plus simple et pratique de travailler sur support numérique ! Enfin, il n'allait pas encore une fois relancer ce vieux débat entre eux. Contournant le bureau, il sortit de son bureau une bouteille de whisky et deux verres :

- Tu as besoin de te détendre.

Appuyant sur un contrôle du panneau de commande, un siège sortit du plafond et descendit pour Irina.

- On se calme et tu m'expliques tout ça tranquillement.

- Il s’est passé que je viens de subir trois interrogatoires et une fouille au corps et de passer à peu près une heure à décliner mon identité et la raison de ma visite à des gens qui me connaissent pourtant aussi bien que toi… Ce genre de procédure m’irrite tu le sais très bien… Franchement nous aurions pu nous retrouver chez toi tu ne penses pas ?

Soufflant un grand coup, la jeune femme regarda d’un air suspicieux le cramé sortir sa sempiternelle bouteille de whisky

- Surtout si tu as l’intention de me saouler.

A cette idée elle failli presque sourire, mais non ! Son humeur avait décidemment subi trop de hauts et de bas ces temps-ci. Elle dormait mal, sans cesse préoccupée par des problèmes qui n’en étaient pas et vivait des journées pour le moins éprouvantes depuis leur atterrissage forcé. Bref, Irina avait un besoin urgent de calme et de repos. Oui, elle avait besoin de se détendre. Finalement un petit verre de bon Whisky ne pourrait semble-t-il lui faire de mal. Avisant le siège que Wyrd avait fait apparaitre à son intention, elle y prit place et attendit qu’il la serve.

- Te saouler ? Non, jamais. Je ne suis pas ce genre de personnes.

Se défendit-il en servant les verres avant de le sien à Irina, puis de montrer le bureau des mains, l'air solennel et concentré :

- Tu vois bien qu'ici tout respire la saine ambiance de travail d'un officier supérieur respectable et en phase avec ses responsabilités ... Bon, j'arrête de partir dans ce délire ça ne marche pas, je ne suis jamais crédible.

Il s'assied enfin, prit son verre et fit tourner le liquide en le regardant puis en descendit une rasade. Fort et ambré comme il le fallait, loin d'être un tord boyaux il était au contraire équilibré et fort en goûts de malt et de tourbe.

- Peut être qu'on arrivera à en faire un bien meilleur ici. Je ne suis pas agronome, mais il me semble que le sol a l'air riche en bienfaits, au vu de la taille des arbres. Et toi, qu'est-ce que tu aimerais enfin pouvoir manger ?

- Tu n’es pas très crédible en effet…

Elle descendit d’un trait le verre que Wyrd lui tendait sans même tenter d’en apprécier le goût. La chaleur se diffusa agréablement dans son estomac et elle tendit le bras sans un mot, quémandant sans honte aucune une autre rasade.

- Pour en revenir à ta question, je ne sais pas ce qui me manque le plus très honnêtement… Du bon café fraichement moulu peut-être… Le matin c’est essentiel pour moi et cette horreur de café soluble synthétique ne pourra jamais remplacer l’odeur délectable de MON café.

Jetant un œil autour d’elle, elle sembla enfin remarquer la profusion de gadgets qui trainaient ça et là dans une pièce pourtant sobre sans cela.

- C’est comme tout ça… Nan mais franchement, je ne vois pas un seul carnet de notes ici, pas un dossier papier. Tout ton fatras peut-il vraiment remplacer à tes yeux le contact du papier sur ta peau ? Quel plaisir te reste-t-il au boulot lorsque tu te refuses même cela ? Les idées fusent tellement plus vite lorsque le papier est là pour lui offrir ses bras… Enfin… Je sais que nous ne serons jamais d’accord sur ce point, je n’insiste pas.

Lui offrant enfin un sourire digne de ce nom -rien de tel pour remettre la jeune femme d’aplomb que cette vieille querelle entre eux- Irina proposa à Wyrd de changer de sujet.

- Et si on se mettait au boulot plutôt qu’en dis-tu ?

- J'attendais que tu amène le sujet.

Dit-il avec un sourire revanchard, avant de remettre ses gants de contrôle et de prendre le dossier qu'avait amené Irina. Un clavier apparu dans l'oeil et en lisant les données rentra les coordonnées des terrains à défricher. Des matérialisations en trois dimensions apparurent dans l'air pour chacun des terrain.

- Partons avec cette base de 5 km² pour commencer, il s'agit d'un des premiers sites explorés à ce que je vois. A partir de là ...

D'un geste de l'index, il fit défiler une série d'outils graphiques pour changer la donne. Calmement, il demanda à Irina :

- Vas y, dit moi ce que tu aimerais. Je vais modifier le terrain selon tes instructions.

Puis il se prépara à recopier le tout sur le schéma en 3 dimensions, après avoir repris une gorgée de whisky.

Bien entendu et comme s’y attendait Wyrd, Irina fit la moue à la vue des plans 3D qui venaient de se matérialiser dans l’air. Nan vraiment, elle ne devait pas être née à la bonne époque. Lu isemblait pourtant y prendre u nréel plaisir. Qu'est-ce qui n'allait pas chez elle? Cherchant un instant ses repères, elle prit une nouvelle gorgée d’alcool et se porta en avant de son siège pour tenter d’y mieux voir.

- Bon. Je pense tout d’abord que vu l’état du terrain, qui est très en pente, il serait judicieux d’aménager des terrasses pour permettre l’écoulement optimal de l’eau vers toutes les cultures en limitant l’érosion. Nous en avons déjà parlé. On pourrait partir de ce promontoire, là, et redescendre progressivement jusqu’au niveau de la mer pour créer environ 20 à 30 parcelles cultivables. Le seul désavantage de cette technique c’est que l’exploitation des terres nécessite par la suite un travail constant et qu’il nous faudra pas mal de volontaires pour maintenir la production à un niveau acceptable. Malgré tout je pense que c’est notre meilleure chance de réussite…

Sa voix se brisa soudain sur ces mots et Irina s’interrompit un instant, jaugeant son ami. Avait-il remarqué quelque chose ? Pouvait-elle lui confier ses craintes ? Cela faisait si longtemps qu’elle les gardait pour elle que leur poids en devenait insurmontable. Il fallait qu’elle en parle à quelqu’un, de toute façon. WYrd ou un autre, quelle importance ? Puis il était là, avec elle et c’était semble-t-il le moment rêvé. De plus, le whisky l’aiderait sans doute à digérer l’information. Lâchant un soupir résigné, elle se prépara à partager enfin le fardeau qu’elle portait.

- Ecoute, Wyrd… Il faut que je te parle un instant. Tu nous ressers un verre s’il te plait ? Je pense que nous allons en avoir besoin tous les deux.

Le militaire avait suivi avec une rigoureuse discipline le discours de l'agronome, s'appliquant à modéliser le terrain selon ses instructions quand elle eut un grand silence. Wyrd se retourna instinctivement vers elle. Peut être le fait d'affronter les situations difficiles très souvent, mais il savait quand quelque chose n'allait pas. Ensuite, elle lui posa une question et lui demanda de resservir les verres. Ou l'inverse, le problème n'est pas là, Wyrd était déjà concentré sur les tiraillements d'Irina. Avec un sotïcisme digne de ceux qu'il y'a avait deux mille ans on appelaient les Anglais, il servit les whisky et s'accroupit face à elle, pestant face ç un grincement de sa jambe bionique.

- Que se passe t-il ? T'es enceinte ?

Dit-il avec un sourire qui se voulait réconfortant et une lueur de malice dans le regard comme pour mieux aider Irina à accepter ses plaisanteries foireuses.

Wyrd avait le don de désamorcer les situations difficiles. Sa plaisanterie fit sauter toutes les barrières et, la pression aidant, Irina éclata de rire bien malgré elle. Le ridicule de cette affirmation était tel qu’elle ne put s’en empêcher. Enceinte, vraiment ? Finalement la situation réelle n’était pas si catastrophique en comparaison. Elle avait vraiment bien fait d’en parler avec lui, se dit-elle. Qui d’autre aurait pensé la charrier ainsi alors qu’elle était visiblement d’un sérieux extrême un instant plus tôt. Prenant entre ses mains le verre que lui tendait son ami, la jeune femme plongea ses yeux dans les siens et reprit son sérieux. Le voir ainsi accroupi près d’elle lui donnait un sentiment de sécurité qui la confortait dans son désir de se confier à lui. Après un bref silence, elle se lança enfin.

- Bon. Reprenons un instant notre sérieux. La situation n’est pas drôle, malheureusement. Je n’irai pas par quatre chemins. Comme tu le sais, il nous a été impossible de retrouver ici la moindre trace de plantes connues anciennement sur Terre ; tout ici est différent, plus grand, plus dangereux. Ce monde est hostile, Wyrd.

Avec un frisson, elle prit une lampée du liquide ambré qu’il lui avait servi et continua, les yeux baissés sur ses mains.

- La flore de la région semble très bien se porter mais il nous est impossible de savoir comment elle réagira à l’apport de nouvelles espèces dans son biotope. Je n’ai pas encore pu identifier beaucoup de plantes indigènes comestibles, les analyses prennent du temps et il est indispensable de commencer à cultiver celles que nous avons apportées avec nous dans le vaisseau. Ce qu’il en reste, tout du moins. Mais…

Elle tergiversait, elle s’en rendait compte et son ami aussi, très certainement… Elle prit ses mains dans les siennes pour se donner du courage. Ce geste à lui seul trahissait son angoisse car il était loin de lui être une habitude. Elle préférait en général garder ses distances. Vissant son regard au sien, elle continua sa difficile confession.

-Je n’ai pas du tout la certitude que les graines et les plants que nous avons apportés avec nous soient viables ici… La nature du sol est tellement différente, c’est difficile à dire. Mon équipe a fait quelques tests notamment sur des palmiers, qui sont très résistants et très adaptables, en règle générale… Ils n’ont pas pris, Wyrd… Ils ne se développent pas. Je ne comprends pas pourquoi encore et ça m’inquiète vraiment… Peut-être en croisant les espèces locales et importées, ou en utilisant uniquement le peu de ressources connues d’Esperanza… Je ne sais pas… Vraiment je ne sais pas…

Elle détourna le regard alors qu’elle terminait ses aveux. Elle était responsable du ravitaillement et des terres arables. C’était à elle de régler ce problème et elle n’était plus sûre d’en être capable. Ici, tout semblait être à recommencer. Elle vida son verre et sourit doucement à son ami. Ca allait s'arranger, c'était certain. Il fallait juste qu'elle se reprenne et qu'elle réfléchisse calmement à la situation.

Il l'avait écouté avec une réelle attention. Ce qu'elle lui annonçait était très grave en effet et n'augurait rien de bon quand a la suite des évènements. Intérieurement, Wyrd imaginait déjà Akira revenir à l'état sauvage pour se sustenter ... Et même si l'image pouvait être cocasse, elle n'en serait pas moins tangible dans un des pires scénarios que l'on puisse imaginer.

- Bien ... Je vois quel est le problème ... Pas dans les détails certes mais au moins dans les faits.

Il se massa les tempes ... Trop de problèmes pour son pauvre cerveau de militaire qui se mettait de plus en plus à oublier le formatage doctrinal de l'armée pour mieux avancer dans ses projets. Regardant de nouveau Irina dans les yeux, il lui dit d'une voix extrêmement franche :

- Je te remercie de me faire tout autant confiance, mais malheureusement pour toi je ne suis pas un scientifique et à vrai dire quand vous trois avec Akira et Naya commencez à discuter sérieusement, je suis souvent obligé de me retrancher dans mes souvenirs de lycée, lorsque je jouais au roll-ball. Maintenant, soyons clairs je pense que Naya serait la plus à même de t'aider à trouver une solution. En effet je suis sincèrement désolé, mais je ne peux pas transformer une composition chimique végétale et l'adapter au terrain. Elle, oui.

La jeune femme se reprit à ces mots et releva le menton. Il avait raison, bien sûr. Il fallait qu’elle en parle avec Naya mais le courage lui manquait pour ce faire. A vrai dire, elle n’osait avouer cette honteuse faiblesse qui faisait que, toute scientifique qu’elle était, elle se trouvait face à un problème trop grand pour elle. Toutefois, elle n’avait pas le choix, elle le savait. Et mieux valait en parler ce soir avant l’expédition du lendemain. Peut-être Naya serait elle à même de trouver les mots pour lui rendre un peu d’espoir. Elle ne pouvait rester ainsi, de toute façon ; la qualité de vie de tous les colons dépendait de sa capacité à solutionner ce problème. Avec un grand soupir, elle se leva et se prépara à prendre congé. Le fauteuil sur lequel elle était assise protesta violement sous la différence de poids. Elle déposa le verre sur un coin du bureau et se tourna vers Wyrd.

- Bon. Tu as raison bien sûr, je le sais bien. J'avaos juste besoin d'en parler à quelqu'un... Mzais je vais aller la trouver de ce pas. Merci de m’avoir écoutée et… Merci, pour le remontant.

Sur ces paroles et avec un sourire sincère, Irina se dirigea vers la porte et se prépara à subir une fois de plus les interminables fouilles nécessaires à la sortie du quartier des officiers.

- Bonne fin de journée, toi. On se revoit demain matin ?

Avec un dernier geste à l’intention de son ami, elle quitta les lieux, l’esprit déjà préoccupé par ce qu’elle allait devoir dire à sa collègue scientifique.

Elran Orowyn revenait à la base pour son rapport quotidien devant son supérieur direct. Non pas que ça le fatiguait au plus haut point, mais quitter ces abrutis de scientifiques, leurs relevés télémétriques et météorologiques, les sondes et les expéditions où rien ne se passe pour retrouver un environnement clos où les militaires étaient synonymes de source de tension lui faisait amèrement regretter les attaques des Hargs sur le Rose Noire.

Arrivé devant le poste de sécurité, il colla son pouce sur la console, fit de l'œil à l'objectif et cracha joyeusement dans le réceptacle d'analyse. La routine, quoi. Puis vint la salle d'attente, avec la secrétaire personnelle du Lieutenant-Colonel, source intarissable d'inspiration à la façon film crypté en code rose dans l'esprit du Lieutenant...

- Le Lieutenant-Colonel Wyrd va vous recevoir sous peu, Lieutenant Orowyn. Il revient d'une réunion avec le Haut-Commandement. Vous pouvez vous assoir en attendant.

* Le "Haut-Commandement", voyez-vous ça ! Bourré ? Pas bourré ? *

- Trop aimable, Sergent, dit-il d'un ton mielleux.

Elran s'assit donc sur le même fauteuil que la veille, qui se révélait être le même que l'avant veille, et ainsi de suite...

Les 1324 marches de l'escalier avaient aidé Wyrd contre leur gré, maintenant presque sobre, sentant vaguement l'alcool. Entrant dans l'antichambre de son bureau il souria a sa secrétaire avant de lui dire :

- Maria, vous pouvez sortir, je fermerais derrière vous. Rompez.

Puis enfin, il rentra dans son bureau, s'appercevant juste a ce moment qu'il arborait ses bras couverts de cambouis et sa veste d'officier détachée donnant un grand angle sur son débardeur lui aussi couvert de cambouis. Regardant le lieutenant dans les yeux, il lui dit :

- Fait chier ce putain de poste ... Pourquoi j'ai accepté cette promotion ?! Non sérieux ! Vous auriez fait un bien meilleur commandant que moi Elran ! Enfin, on va pas tergiverser.

Lui adressant enfin le salut militaire, il alla derrière son bureau, posa ses lunettes et s'assit dans son fauteuil les pieds sur la table.

- Au rapport lieutenant, que ça saute et si vous voulez boire quelque chose vous connaissez l'emplacement du mini-bar. Puis vous perdrez pas la main hein, c'est pas conventionnel de laisser ses supérieurs mourir de soif.

* Arf, ni l'un ni l'autre... ou un peu des deux pour être plus exact... On va donc dire "comme d'habitude". *

Après un signe de tête entendu, il se dirigea lentement mais surement vers ledit mini-bar, déboucha la carafe en cristal de Pure Malt et servit deux verres, un sans glace et l'autre avec. Puis il se retourna, s'avança vers le bureau et tendit le premier à son supérieur. Ils trinquèrent à la santé du sommelier et Elran but une longue gorgée avant de commencer son rapport.

- Pour faire court, mon Lieutenant-Colonel, nous avons à ce jour avancé sur dix kilomètres de rayon et toujours pas âme qui vive. La faune ne semble pas hostile, même si nous rencontrons çà et là des restes d'animaux. La météo semble être la même qu'un été que nous avons l'habitude de connaître et si nous nous référons aux prévisions des intellos - euh ! - de nos "éminents" scientifiques sur le terrain, nous devrions avoir beau temps jusqu'à la fin de la semaine.
En ce qui concerne les sondages pédologiques, du minerai inconnu pourra être exploité si nous apportons le matériel de forage nécessaire. J'ai en ma possession un échantillon que je dois donner à Naya Galandrix pour analyse.

- Je sais que les explorations sont lentes Lieutenant. J'ai eu un rapport d'Irina Viktorovna dans l'après midi.

Wyrd faisait jouer son verre de whisky entre ses doigts, à vrai dire il n'avait plus trop envie de boire car il repensait a ce qu'il avait entendu dans ce même bureau de la bouche de son amie agronome. Poussant un long soupir il mit le verre sur la table et se mit debout pour contempler la vue d'esperanza de nuit par sa baie vitrée. Sortant une cigarette, il l'alluma et en exhala une bouffée bienfaitrice.

- Nous avons d'ailleurs convenu d'une opération de grande envergure destinée a raser un bout de jungle pour nous faire des champs arables. En tant qu'officier supérieur, vous avez le droit de savoir que nous tomberons rapidement en pénurie de vivres si nous ne nous attelons pas avant tout a ce projet. J'ai décidé de prendre la tête des opérations mais cependant je n'aurais pas le loisir de commander l'infanterie durant ces manoeuvres, je m'occuperais directement des MechA. Unit. par contre. Donc je vous nommerais à la tête de l'infanterie et comme d'habitude sous mon commandement direct.

Avec le temps, Wyrd se demandait pourquoi ces deux compagnons d'armes qu'ils étaient se vouvoyaient toujours, mais c'était certainement la différence MechA. / Francs-tireurs qui devait jouer contre une relation plus amène. Cependant, a moitié sur le ton de la plaisanterie, Wyrd dit :

- Et sinon, quand on aura reconstruit un resto, une grillade ca vous dit ?

- Un peu que ça me dit ! La viande rouge commence à me manquer sérieusement, O'Dean. D'ailleurs j'ai vu pas plus tard qu'hier un truc ressemblant à un gros écureuil. Je ne serais pas étonné de la saveur de sa chair...

Elran se sentait digresser franchement, sous le regard amusé de Wyrd. Il reprit un peu de contenance et dit sur un ton qui se voulait plus formel :

- Quoi qu'il en soit, si vous voulez mon avis, mon Lieutenant-Colonel, je suis d'accord sur le fait d'aménager un peu les terres nouvellement explorées. Seulement, aux dires des rats de laboratoire que j'escorte, les cultures conventionnelles ne prennent pas. Donc avant de tenter une quelconque opération de défrichement, il faudrait savoir d'où vient le problème. La terre ressemble à la nôtre, mais en aspect seulement. Et puis cette roche noire que l'on trouve un peu partout nous intrigue tous. Il fouilla dans un porte-documents et en sortit un spectrogramme qu'il tendit à Wyrd. Ceci est le relevé magnétique du minerai en question. Il émet une sorte de radiation électromagnétique spontanée...

Se rendant compte que le Lieutenant-Colonel avait décroché de l'explication, Elran s'arrêta. Se souvenant qu'il parlait à un militaire aguerri, il prit une inspiration et reprit d'une voix plus posée :

- Mes excuses, Monsieur. En clair, ce caillou émet des ondes comme le ferait un aimant par exemple. Moi je vois ceci comme l'exploitation future d'une nouvelle source d'énergie, mais sur le plan purement agronomique, les interférences électromagnétiques pourraient gêner la croissance de nos végétaux, voire carrément empêcher leur développement.

* Purée, tu vas voir qu'il va me demander de m'occuper du travail de ces traine-savates en blouse blanche... J'ai pas quitté les labos pour y retourner quatorze ans plus tard, putain ! Pas de ma faute s'ils sont tous incompétents ici... Surtout ceux que j'escorte, ils n'ont de scientifique que le nom ! *

- Si vous me le permettez, O'Dean, il ne serait pas inutile de procéder à des analyses biochimiques préalables d'une plante commune, de la terre alentours et d'un de ces cailloux. En cherchant des correspondances, peut-être qu'on trouvera quelque chose.

- Et en plus cette caillasse, si elle est électromagnétique pourrait nous permettre de booster les HMV de façon exponentielle, genre les formule 1 antigrav des Anciens !

Au delà de s'exprimer en tant que militaire, Wyrd s'exprimait en tant que mécanicien, a ce niveau là cela pouvait être considéré comme une tare. Prenant enfin une gorgée de whisky il mit a profit ses facultés retrouvées de par la marche harassante qu'il avait mené dans Echo-01.

- Cela peut porter a intérêt mon cher, vous ferez analyser cela pas Mademoiselle Galandrix.

Dit-il d'un ton sec et péremptoire, contrairement à son habitude. Il n'aimait en effet pas envoyer ses hommes face à Naya, elle avait déjà beaucoup trop souffert à cause de militaires et de cela il se sentait la cause. Revoyant la scène ou il arrêtait son fiancé chez eux dans le Nur Vankis, il fit un effort pour chasser ces pensées. Assis dans son fauteuil, il regarda autour de lui et finit par dire :

- Maintenant que tous les sujets sont bouclés ... Venons en à l'ordre du jour principal. La nomination d'un général. Vous n'êtes pas sans savoir que je fais partie du gouvernement provisoire des Exodés. Cependant, et je vous le demande en tant que compagnon de nombreuses batailles : me voyez vous vraiment apte à prendre ce poste ? N'ayez pas peur de vos mots. Je ne t'en voudrais pas.

Elran sursauta en entendant la dernière phrase. Les seules personnes qu'il tutoyait en temps normal, à part ses vieux parents, étaient ses anciens compagnons d'armes du C.I.R. Le danger extrême crée des liens... Certes il avait appuyé à de maintes reprises depuis le Rose Noire les assauts du Lieutenant-Colonel Wyrd qui se trouvait à bord de son MechA fétiche - et dont la vie avait maintes fois été sauvée par le Lieutenant. En cela il avait gagné le respect de son supérieur et s'était souvent surpris à l'imaginer sous ses ordres dans le Commando d'Intervention Rapide. De ce fait...

- Je ne pense pas que ton aptitude soit à remettre en question, Wyrd, dit-il en s'asseyant plus confortablement. Ton esprit d'analyse, ton côté critique et tes études en école d'officiers sont assez poussés pour envisager ta nomination à ce poste. Seulement il faut voir l'opinion publique. Toi tu vois qu'il faut un général et depuis que l'État-Major a été littéralement pulvérisé tu ne vois personne d'autre que toi à ce poste, les civils eux ne verront rien d'autre qu'un coup d'État. Déjà que ton triumvirat avec Leonin et Galandrix a fait lever plus d'un sourcil, et pas que du côté des civils...

- En effet, c'est bien là mon souci majeur. J'ai fait des recherches sur les grands généraux lors de mes rares périodes de temps libre, or vu que nous n'avons quasiment plus aucune base de données, aucunes réponses de ce coté là.

Reprenant une petite rasade de whisky, il se vautra de plus belle dans son fauteuil avec un air pensif vissé sur le visage. Faisant craquer ses phalanges il s'étira et reprit le cours de ses pensées avec une sagacité relative :

- Toujours est-il qu'il faudra un chef de guerre un jour, nous en sommes bien conscients n'est-ce pas ? En fait, ce qu'il nous faudrait, c'est un ennemi à combattre. Un ennemi plus tangible que des plantes et des animaux. Quelque chose d'organisé. Et puissant.

Wyrd n'aimait pas réfléchir en ces termes stratégiques, ils avaient déjà du mal à asseoir une autorité tangible a la tête de cet Etat et de la communauté toute entière. Et voilà que maintenant il se demandait comment faire comprendre aux gens qu'il ne voulait pas faire un coup d'état. Ce genre de pensées douloureuses qui avaient déjà été les garantes de ce qui avait bien faillit être la fin de l'expédition. C'était dur en effet, le pouvoir, ses tentations. Comment les Anciens faisaient-ils pour gérer ces évènements aurait été une base de réflexion plus que tangible pour le nouveau commandant. Et malheureusement il n'avait plus rien de tangible là dessus. A part peut être dans les bases de données d'un vaisseau : le Nur Vankis. Une partie de ce dernier s'était écrasée sur Esperanza. Une fouille approfondie allait être de mise.

- Il nous faut les bases de données de l'épave du Nur vankis. Peut être que nous pourrions commencer à y trouver une piste acceptable.

- Ah la la, les militaires sont perdus en temps de paix. En effet, nous ne pouvons pas marcher en aveugle. Nous aurons un plus grand recul avec l'ensemble des bases de données terriennes. Bon, si tu n'as plus besoin de moi, je vais passer voir Galandrix pour lui remettre nos échantillons.

Après l'approbation de Wyrd, Elran se leva, rassembla ses documents et les remit dans la serviette. Il amorça le salut militaire, puis se ravisa.

- Euh... avec votre autorisation, mon Lieutenant-Colonel, je souhaiterais participer à l'opération du Nur-Vankis. En fait j'aimerais participer à n'importe quelle autre mission que celle de jouer les gardes du corps de scientifiques au rabais... sauf votre respect, bien entendu.

- Filez donc vous inscrire. Cela tombe bien d'ailleurs car j'ai également pris une place dans cette mission.

Répondit Wyrd avec un sourire avant de commencer à ranger quelque peu son bureau, il se faisait tard et le gradé devait encore retourner manger avant d'aller se coucher. Il était satisfait de cette entrevue et des avis que lui avait donné le soldat Orowyn, même si son plan n'en était qu'à un stade embryonnaire, Wyrd savait qu'il pouvait réussir à faire passer l'idée d'un général a la tête des militaires. De toutes façons, dans sa vision des choses il n'était pas possible de continuer à diriger l'armée sans y mettre un minimum d'ordre.

- Merci, Wyrd. Nous allons enfin agir côte à côte. Tu auras peut-être plus de chances de me sauver la vie, pour une fois...

Un salut militaire désinvolte plus tard, Elran Orowyn se rendit dans le quartier scientifique, à la recherche de Naya Galandrix.

Arrivé dans la caserne, un vieux dossier crasseux en main qui contenait les informations sur le bonhomme, Slate ne s'imposait pas. Il restait à l'entrée avec un petit sourire idiot.
On lui a dit qu'il pouvait effectuer une mission si il passait par la caserne. Il reste patient et immobile.

- Une caserne... Ça me rappelle ce bon vieux temps de mon adolescence, la première arme tenue à la main... Des souvenirs qui me vont droit au cœur. On se sent vieux quand on se remémore ce genre de chose

Une secrétaire vint parler à l'homme qui se tenait dans la salle d'attente du lieutenant-colonel depuis déjà dix bonnes minutes. Son uniforme montrait qu'elle avait grade de Sergent dans les Forces Spatiales, et manifestement cette époque semblait réellement lui manquer elle qui se retrouvait aujourd'hui gratte papier du commandant. Après un salut réglementaire, elle demanda :

- Bonjour, si vous attendez une possible entrevue avec le lieutenant-colonel O'Dean il est malheureusement en mission pour le moment. C'est à quel sujet ?

Elle prit un datapad et un stylet à sa ceinture pour noter les réponses du soldat.

» Devant le bureau d'Akira... quelqu'un a dit bureau ?!
» Wyrd O'Dean
» bureau de Lester Hartmann
» Bureau de Naya Galandrix