Il était temps, oui...
Le Léonin voyait à travers une sorte de brume. Il n'avait pas le contrôle de la totalité de son corps et parfois, il sombrait dans l'inconscience et se réveillait dans un endroit inconnu. Il était inquiet.
Une créature observait les remparts autour du camp des Exodés. Haute de deux mètres de haut, portant un habit militaire déchiré, une épée brisée au côté, elle avait deux yeux perçants mais sereins. Ici, il y avait de la nourriture. La bête le sentait. De la chair dans laquelle il pourrait fouailler à loisir, se repaissant au-delà du raisonnable. Ici, c'était le paradis. La bête aiguisa ses griffes sur un arbre et, prise d'un accès de rage, en brisa le tronc d'un seul coup de poing. Ces élans étaient de plus en plus fréquents. Elle devait se calmer, sous peine de se faire repérer. Non, il fallait qu'elle surprenne le campement afin de gagner. Elle était seule, prédatrice avide de sang et elle savait qu'elle n'aurait qu'une seule chance. Aussitôt entrée, elle ne pourrait ressortir.
La créature observa sa blessure au flanc. La plaie s'était presque entièrement refermée. Les bords étaient entourés par une substance argentée qui suintait parfois et coulait le long de sa jambe. Il ne savait ce que c'était mais depuis qu'elle était là, il perdait progressivement le contrôle de son corps. En observant bien, on voyait que de fines veinules du même argent couraient sur la peau, à peine camouflés par le pelage fauve de la bête. Le tigre voulut en trancher une, sa griffe passa au travers comme on couperait un filet d'eau. Cependant, elle ne coula pas et continua sa route. Bientôt, tout son corps serait envahi. Il fallait qu'elle mange.
Le tigre attendit la relève, au milieu de la nuit. Les militaires qui venaient d'arriver étaient fatigués, ceux qui venaient les remplacer étaient encore endormis. C'était le meilleur moment pour agir. Il s'avança vers la muraille, se déplaçant avec célérité tout en prenant soin de rester dans l'ombre des arbres qui entouraient le campement. Arrivée au pied de la muraille, elle n'attendit pas et planta ses griffes dans la pierre. Renforcées par une couche d'argent, elle pénétrèrent facilement le mélange de pierre et d'acier et la bête put escalader les fortifications sans problème. Elle monta jusqu'au rebord, planta les griffes de ses pattes inférieures dans le mur et se renversa, la tête à l'envers pour que le sang afflue dans ses bras et économiser ses forces. Quand les soldats qui venaient de terminer leur garde furent enfin parti, la bête posa ses griffes sur le rebord et observa où étaient les soldats. Ils avaient repris les mêmes positions que leurs prédécesseurs, si bien que le tigre se trouvait à mi-distance de deux sentinelles. Il se hissa sur le rempart, le traversa rapidement et sauta dans le vide. D'une torsion du buste, il se retrouva face à la muraille et lança ses bras contre la pierre pour stopper sa chute. Les griffes se plantèrent à nouveau dans le mur sans faire un bruit. La créature descendit alors tranquillement jusqu'au sol.
Elle ne savait par quel miracle elle connaissait la structure du camp mais elle trouva cela bienvenu. Elle savoura cet instant alors qu'elle se dirigeait vers les dortoirs...
